Ouganda

Des décennies de guerre civile en Ouganda ont entraîné des abus généralisés de la part d’acteurs étatiques et non étatiques, notamment des meurtres, des violences sexuelles et l’emploi massif d’enfants-soldats. L’ICTJ s’associe aux leaders de la société civile du pays pour obtenir réparation de ces crimes en plaidant pour une réintégration réussie des victimes et la responsabilisation des auteurs des violations.

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Image de partisans du chef de l'opposition Besigye lors d'un événement de campagne avant les élections présidentielles à Kampala le 16 février 2011.

Les partisans du leader de l’opposition Besigye assistent à un événement de campagne avant les élections présidentielles à Kampala le 16 février 2011.

Actuel

Contexte 

Après avoir obtenu son indépendance en 1962, l’Ouganda a enduré près de vingt ans de guerre civile sous les anciens présidents Milton Obote et Idi Amin Dada. On estime qu’au cours de cette période, plus de 300 000 personnes ont péri. 

En 1979, des Ougandais en exil — dont l’actuel président Yoweri Museveni — ont envahi le pays. Après une longue guérilla, Museveni et l’Armée de résistance nationale ont pris le contrôle du pays en 1986 et ont conclu des accords avec plusieurs contre-insurrections. 

Toutefois, une insurrection — l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) — s’est engagée dans un conflit prolongé et continu avec l’armée ougandaise dans le nord du pays. Ce conflit a été marqué par des violations brutales des droits de l’homme commises par les deux protagonistes, dont des meurtres, des violences sexuelles, des kidnappings à grande échelle et l’emploi massif d’enfants-soldats par la LRA. On estime que 75 000 enfants ont été enlevés et forcés à servir de combattants, de porteurs et d’esclaves sexuels entre 1979 et 2005. 

Malgré la tenue de pourparlers de paix entre 2006 et 2008, le gouvernement n’a pas réussi à mettre un terme au conflit avec la LRA. L’activité de la LRA a néanmoins fortement diminué ces dernières années, plusieurs de ses dirigeants ayant été capturés. Depuis la fin des pourparlers de paix, le gouvernement s’est engagé à appliquer plusieurs mesures de justice transitionnelle. Cependant, près de 14 ans plus tard, les victimes de violations graves des droits de l’homme n’ont toujours pas obtenu justice.  

La situation politique du pays ne fait qu’exacerber la lutte pour la justice. Museveni est au pouvoir depuis 1986 et ses détracteurs ont remis en question la légitimité de ses quatre dernières réélections, dont celle de 2021 qui a été marquée par une violence étatique sans précédent, le harcèlement des candidats de l’opposition, la répression de la société civile et la coupure d’Internet. Des dizaines de partisans de l’opposition ont été détenus arbitrairement et torturés. Pendant la campagne électorale, le gouvernement ougandais a utilisé le COVID-19 comme prétexte pour réprimer les droits et libertés et empêcher les candidats de l’opposition de mobiliser leurs partisans. Les forces de sécurité ont arrêté arbitrairement les candidats à la présidence Robert Kyagulanyi et Patrick Amuriat Oboi, du Forum pour le changement démocratique, à de multiples reprises alors qu’ils étaient en campagne, et ont stoppé leur campagne. La police et l’armée ont fait un usage excessif de la force, notamment à l’aide de balles réelles et de gaz lacrymogènes, pour disperser des rassemblements politiques au prétexte qu’ils enfreignaient les directives du COVID-19. Pour se protéger lors des événements de sa campagne, Kyagulanyi a été contraint de porter un gilet pare-balles et un casque. 

Les 18 et 19 novembre 2020, des manifestations de rue ont éclaté à Kampala et dans d’autres centres urbains après l’arrestation de Kyagulanyi, au cours desquelles les forces de sécurité ougandaises ont tué plus de 60 personnes, dont des manifestants et des passants.

Pourparlers de paix et mesures transitoires 

En 2006, le gouvernement et la LRA ont entamé les pourparlers de paix de Djouba pour mettre fin au conflit. Ceux-ci se sont achevés en 2008 sans qu’aucun accord officiel n’ait été conclu. Le chef de la LRA, Joseph Kony, a conditionné sa signature finale à l’annulation des mandats d’arrêt permanents de la Cour pénale internationale (CPI) contre lui et quatre de ses principaux commandants. 

Malgré l’absence d’un accord signé, les pourparlers de Djouba ont abouti à cinq points d’accord importants, que le gouvernement a mis en œuvre après 2008. L’un d’eux est l’Accord de Djouba sur la responsabilisation et la réconciliation, qui instaure un processus de recherche de la vérité, des réparations et des poursuites pénales et civiles officielles à l’encontre des auteurs de crimes ou de violations graves des droits de l’homme. 

En 2008, le gouvernement a créé le Groupe de travail sur la justice transitionnelle sous l’égide du Secteur de la justice, du droit et de l’ordre (JLOS). Ce groupe de travail a été chargé de superviser la mise en œuvre des mesures de justice transitionnelle prévues par l’accord de Djouba. Il a élaboré des versions successives d’une politique nationale de justice transitionnelle qui prévoit une combinaison de mesures de justice transitionnelle afin que les auteurs des crimes perpétrés pendant le conflit rendent des comptes, que les victimes obtiennent réparation et que la réconciliation nationale soit favorisée.  

En 2019, plus de 10 ans après la fin des pourparlers de paix, le Cabinet ougandais a finalement approuvé la politique nationale de justice transitionnelle tant attendue. 

Cette politique vise, entre autres, à faciliter les processus et programmes de réparations, à promouvoir la réconciliation et la reconstruction de la nation, et à combler les lacunes du système judiciaire officiel. Elle reconnaît en outre le rôle central de la justice traditionnelle dans l’avancement de la responsabilisation et de la réconciliation, et cherche à formaliser son exercice en tant que voie alternative pour la justice post-conflit. 

Les organisations de la société civile ont également exprimé leur inquiétude quant au processus de justice transitionnelle perçu comme sélectif, se concentrant principalement sur le nord et sur les crimes commis par la LRA, tout en ignorant les allégations contre l’armée ougandaise et les abus commis contre la société civile et les populations ailleurs dans le pays. 

Viser la responsabilisation et le désarmement 

L’Ouganda a cherché à faire en sorte que les principaux responsables des violences rendent des comptes, tout en encourageant un désarmement général des groupes armés. Dans la visée de ces deux objectifs, il a invité la CPI à poursuivre les responsables en justice et a inculpé les auteurs présumés devant les tribunaux nationaux.  

En 2000, le gouvernement a également adopté la loi d’amnistie, qui accorde l’amnistie à certains insurgés afin de mettre fin aux hostilités. La loi offre une forme d’immunité judiciaire aux combattants non étatiques. À ce jour, la loi a été appliquée à 26 000 rebelles désarmés, dont la moitié environ étaient membres de la LRA. 

La loi d’amnistie n’est pas sans susciter des controverses : elle a été interprétée à un moment donné comme incluant l’amnistie pour les crimes internationaux, tels que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide. Cette interprétation a finalement été restreinte afin d’exclure les crimes internationaux par la Cour suprême en 2015, lorsqu’elle a jugé que l’ancien commandant de la LRA Thomas Kwoyelo ne pouvait bénéficier de l’amnistie. Cette décision a permis à Kwoyelo d’être poursuivi par la Division des crimes internationaux de la Haute Cour ougandaise, qui a été créée pour entendre les affaires liées aux crimes internationaux commis par l’un ou l’autre des belligérants. Le procès de Kwoyelo est toujours en cours. 

Au-delà des poursuites nationales engagées contre les crimes internationaux, le gouvernement ougandais a également fait appel à la CPI pour demander des comptes aux auteurs de ces crimes. En 2003, le gouvernement ougandais a référé la situation dans le nord du pays à La Haye et, en 2005, la CPI a émis des mandats d’arrêt à l’encontre de cinq commandants de la LRA : Joseph Kony, Vincent Otti, Raska Lukwiya, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen. En 2015, Dominic Ongwen s’est rendu aux forces spéciales américaines et a été transféré à la CPI. Il a été jugé pour 70 chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, y compris l’esclavage sexuel et le mariage forcé, et a été reconnu coupable de 61 de ces charges le 4 février 2021. Les décès de Lukwiya et d’Odhiambo ont été confirmés, mais Kony et Otti sont toujours en liberté. 

L’affaire Ongwen a mis en lumière bon nombre des complications liées à la poursuite de la justice en Ouganda, car Ongwen lui-même a été recruté de force par la LRA en tant qu’enfant-soldat et a gravi les échelons de la LRA pendant sa captivité. Il a été le premier accusé à être jugé par la CPI pour des crimes dont il a également été victime. Il a également été le premier à être jugé devant une cour internationale pour mariage forcé, en tant que crime distinct de l’esclavage sexuel et d’autres violations sexuelles.

Le rôle de l’ICTJ 

Depuis 2005, l’ICTJ soutient les efforts de l’Ouganda pour instaurer une paix stable en affirmant la dignité des victimes du conflit, en particulier les femmes et les jeunes. Il a également fourni des conseils techniques aux efforts en cours pour tenir les auteurs de crimes responsables de leurs actes. 

Suite à la signature de l’Accord de Djouba, l’ICTJ a travaillé en Ouganda pour assister la conception et la mise en œuvre de processus de justice transitionnelle centrés sur les victimes, qui combattent l’impunité pour les violations des droits de l’homme, recherchent la vérité, offrent des réparations aux victimes et établissent des institutions dignes de confiance. L’ICTJ a contribué de manière significative à l’amélioration des capacités, des connaissances et des compétences de la société civile, des groupes de victimes, des membres des médias et des décideurs politiques pour conceptualiser, influencer, surveiller, soutenir et participer aux processus de justice transitionnelle.  

Notre approche a consisté à réunir les responsables des gouvernements locaux, les dirigeants communautaires et les acteurs du développement avec les victimes pour combler le fossé entre ceux qui sont stigmatisés pour les violations qu’ils ont subies et ceux qui ont la responsabilité de rendre justice, de reconnaître et de réparer. Les résultats de nos efforts se sont traduits jusqu’à présent par divers engagements visant à donner accès aux services sociaux, à l’éducation et aux documents d’état civil aux enfants nés de la guerre. Nous avons pu nous adapter à un contexte difficile en Ouganda en prenant des voies alternatives pour répondre aux besoins des victimes, en tirant parti des opportunités émergentes et en sensibilisant les gens au vécu des victimes. 

Les interventions et résultats spécifiques récents sont les suivants :  

  • Renforcer les capacités des victimes et de la société civile. L’ICTJ a fourni une assistance technique et un renforcement des capacités aux organisations de la société civile et aux groupes de victimes en Ouganda. Grâce à ces interventions, divers groupes de la société civile ont pu s’engager et se mobiliser autour de différentes questions de justice transitionnelle et contribuer au développement du processus de justice transitionnelle. L’ICTJ travaille avec des organisations de victimes pour renforcer leur capacité à plaider justice, et crée des plateformes permettant aux victimes d’interagir avec les acteurs étatiques et de leur faire part de leurs préoccupations. 
     
  • Donner du pouvoir aux groupes de femmes survivantes. Nous avons contribué à développer la capacité des groupes de femmes survivantes à formuler leurs demandes et à s’engager auprès des décideurs. Au niveau local, nous avons fourni un encadrement permanent à ces groupes, ce qui a amélioré leurs compétences en matière de plaidoyer et leur a donné les moyens d’identifier et de saisir les occasions de présenter les besoins des victimes. Grâce à notre travail, plusieurs femmes survivantes assistent désormais aux réunions de planification et de budgétisation du district pour s’assurer que les priorités des victimes sont prises en compte. Des dialogues de haut niveau ont abouti à la création du Forum parlementaire du Grand Nord et du Forum parlementaire sur les enfants, qui ont promis de relever les défis identifiés, comme ceux auxquels sont confrontés les enfants nés de la guerre pour obtenir un acte de naissance auprès du parlement. Grâce à ces efforts, nous avons vu des engagements pris par des acteurs non traditionnels de la justice transitionnelle, notamment l’Agence nationale d’identification et d’enregistrement, pour aider les enfants nés de la guerre à se faire enregistrer à l’état civil et à relever certains des nombreux défis auxquels ils sont confrontés.
     
  • Soutenir la Division des crimes internationaux. La Division des crimes internationaux de la Haute Cour de l’Ouganda (ICD) a été créée en 2008 pour enquêter et poursuivre les crimes internationaux et transnationaux tels que les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, le génocide, le terrorisme, la piraterie et la traite des êtres humains. L’ICTJ a offert des formations et des échanges judiciaires, et a fourni des conseils d’experts sur tout un éventail de questions, telles que l’amnistie, la protection des témoins, la participation des victimes et la sensibilisation du public. Plus récemment, en tant que membre d’un groupe de travail spécial formé par l’ICD et Avocats sans Frontières (ASF), l’ICTJ a prodigué des conseils techniques pour soutenir le développement des règles de procédure et de preuve de l’ICD. En collaboration avec ASF, l’ICTJ a élaboré un ouvrage de référence judiciaire sur la pratique et la procédure de jugement des crimes internationaux devant les tribunaux nationaux. Ce livre contribuera à l’efficacité des enquêtes sur les crimes internationaux. 

    L’ICTJ continue de combler le fossé entre les victimes et les procédures judiciaires au sein de l’ICD en Ouganda et de la CPI, grâce à la sensibilisation et la création de diverses plateformes de dialogue et d’échange, et le développement de ressources pour améliorer l’efficacité des procédures de l’ICD. Ces initiatives ont permis de faire connaître les relations entre la CPI et l’ICD, et ont contribué à créer un sentiment de solidarité entre les victimes dans les affaires. En outre, les participants ont identifié des stratégies pour rendre les deux cours plus en phase avec les attentes des victimes.  
     
  • Aider les enfants nés de la guerre et leurs mères. En 2015, l’ICTJ a réalisé une évaluation de la situation des enfants nés de femmes qui avaient été enlevées par la LRA et souvent forcées d’épouser des commandants de la LRA. Lorsqu’elles parviennent à revenir de captivité, ces femmes et leurs enfants sont souvent confrontés à la stigmatisation sociale, au rejet et à un accès limité à l’éducation, aux soins de santé et à d’autres services. L’évaluation de l’ICTJ a identifié les besoins de réparations de cette population marginalisée et a suggéré des moyens concrets pour que les gouvernements nationaux et locaux prennent des mesures pour réparer ces violations. L’ICTJ continue de travailler avec les organisations de victimes qui cherchent à obtenir justice pour cette population. L’ICTJ a produit le film Je ne suis pas ce qu’ils pensent, qui explore les défis particuliers auxquels ces femmes et leurs enfants sont confrontés. Notre travail antérieur et actuel aux côtés de militants dans le nord de l’Ouganda pour aider à mettre fin à la stigmatisation des enfants nés de viols en temps de guerre et de leurs mères a entraîné un changement significatif des attitudes au sein des communautés, et des promesses de soutien de la part de donateurs internationaux. 
     
  • Conseiller le Projet de documentation sur les droits de l’homme. En 2015, la Commission ougandaise des droits de l’homme (UHRC) a lancé un Projet de documentation sur les droits de l’homme (HRDP), le premier processus officiel de l’État visant à enregistrer les violations commises entre 1986 et 2007. En tant que membre du comité consultatif du HRDP, l’ICTJ fournit une assistance technique et de renforcement des capacités à l’UHRC et à l’équipe technique du HRDP pour s’assurer que le projet reflète bien les priorités des victimes et que celles-ci y participent de manière significative. 
     
  • Développer une politique nationale de justice transitionnelle. L’ICTJ a offert une assistance technique étendue au JLOS pour soutenir la formulation d’un cadre politique national de justice transitionnelle efficace, intégré et centré sur les victimes. Suite à l’approbation de cette politique, l’ICTJ a continué à soutenir les efforts de sa mise en œuvre, y compris la promulgation d’une loi qui prévoirait l’instauration de mesures de justice transitionnelle en vertu de la politique, y compris un programme de réparations.
     
  • Promouvoir le développement des communautés locales. L’ICTJ travaille avec les gouvernements locaux et les soutient dans la conception et l’application de programmes de développement local qui répondent aux besoins immédiats des victimes affectées par les violations des droits de l’homme liées aux conflits, en attendant la mise en place d’un programme de réparations. Les interventions de l’ICTJ ont contribué à améliorer la façon dont les gouvernements locaux ciblent et priorisent les groupes vulnérables, ce qui a bénéficié aux groupes de victimes. 
     
  • Élargir la portée de la justice transitionnelle. La justice transitionnelle est très largement considérée comme un processus propre au nord de l’Ouganda, ce qui ne tient pas compte de l’histoire du conflit dans tout le pays. L’ICTJ a donc élargi la portée des efforts de justice transitionnelle pour inclure la région du Rwenzori, qui a été exclue de nombreuses initiatives de ce type. Alors que le Rwenzori a connu de multiples cycles de conflits violents depuis l’indépendance de l’Ouganda, aucun effort n’a été fait pour aborder les violations des droits de l’homme liées aux conflits ou à leurs causes profondes dans la région. Puisqu’il y a peu de documents sur les cycles de conflit dans le Rwenzori et leur impact, l’ICTJ a mené une évaluation sur le sujet comme première étape vers la vérité, la justice et la responsabilisation pour les victimes dans la région. 
     
  • Mener des recherches. L’ICTJ a mené des études sur divers sujets, notamment les réparations, la justice de genre, la recherche de la vérité, la complémentarité et les liens entre le développement et les réparations. Ces études ont pour but d’informer l’élaboration des politiques au niveau national, en s’appuyant sur les expériences comparatives d’autres contextes, ainsi que sur les perspectives et les priorités des victimes en matière de recherche de la vérité et de réparations.