Liban

Le Liban porte un lourd héritage de violations des droits de l’homme – dont presque aucune n’a été traitée de manière sérieuse ou transparente. L’ICTJ travaille avec la société civile locale et les décideurs politiques au Liban sur des mesures visant à affronter le passé et à renforcer l’état de droit. 

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 Des photos en noir et blanc et de vieux documents de personnes disparues au Liban collés sur un mur.

Photos du « mur des disparus », un mémorial et une manifestation dans le centre-ville de Beyrouth, Liban, 2005. (Hanny Megally)

Actuel

Contexte : Pas de justice, pas de paix 

Avec une succession de guerres interdépendantes, deux occupations parallèles et une série d’assassinats de personnalités, le Liban porte un lourd héritage de violations des droits de l’homme et du droit humanitaire. Une étude publiée par le Comité international de la Croix-Rouge a conclu que 75 % des citoyens libanais ont une « expérience personnelle » des conflits armés. 

Les événements pour lesquels la vérité et la responsabilisation sont recherchées sont multiples. Le premier est la guerre de 1975-1990, dans laquelle un large éventail d’acteurs locaux et internationaux ont été impliqués. Plus de 100 000 civils ont été tués et environ 17 000 ont disparu au cours de cette période. L’accord de Taëf, signé en 1989, a mis fin à la guerre civile mais a également institutionnalisé les divisions existantes en établissant un système de partage politique sectaire basé sur celui inscrit dans le Pacte national de 1943, qui a déclaré l’indépendance effective du Liban et ancré le sectarisme dans la société. 

Après la guerre civile, certaines régions du Liban sont restées sous l’occupation d’Israël et de la Syrie jusqu’en 2005, et des violations des droits de l’homme ont continué à être commises. Même après le retrait de l’armée syrienne en avril 2005, le pays n’a pas réussi à échapper totalement à ses cycles récurrents de violence. 

Aucune mesure sérieuse n’a jamais été mise en œuvre pour remédier aux violations commises pendant la guerre. Personne n’a jamais été poursuivi pour ces abus, en grande partie grâce à une loi d’amnistie générale adoptée en 1991. 

En 2000, dix ans après la signature de l’accord de Taëf, et sous la pression du Comité des familles de kidnappés et disparus, le gouvernement a accepté de créer une commission sur les personnes disparues et enlevées de force. Deux autres commissions ont suivi, la première en 2001 pour enquêter sur les disparus que l’on croyait encore en vie, et l’autre en 2005, une commission conjointe libano-syrienne. Le travail de ces commissions n’a donné aucun résultat significatif et a été sévèrement critiqué. 

En 2005, les assassinats de l’ancien Premier ministre Rafiq Hariri et de plusieurs autres personnalités politiques et intellectuelles dans une série d’attentats ciblés a conduit à la création du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) en 2007. Malgré l’utilité du TSL dans la recherche de la responsabilité d’assassinats de personnalités, son mandat limité se traduit par un manque de justice pour les dizaines de milliers de civils qui ont également perdu la vie en raison de la violence politique au Liban. 

La guerre du Liban de 2006 a dévasté une grande partie du pays, et les troubles civils qui ont suivi ont amené la nation au bord du conflit interne dans ce qui est maintenant connu comme la crise de 2008. Aujourd’hui, les retombées de la guerre civile syrienne maintiennent la société et la politique libanaises dans la réticence et le pays est plongé dans la violence. 

En 2008, des organisations de défense des droits de l’homme et des groupes de victimes ont présenté au président Michel Suleiman une déclaration demandant que la question des disparus devienne une priorité nationale. Suleiman a reconnu le problème dans son serment, et le cabinet s’est engagé à le traiter de manière sérieuse et complète. 

Ce n’est qu’en mars 2014 que le Conseil de la Choura d’État, l’une des plus hautes institutions judiciaires du pays, a rendu une décision historique reconnaissant pour la première fois dans le droit libanais le droit des familles à connaître le sort de leurs proches. Il a décidé que le gouvernement devait divulguer le dossier de la commission de 2000 qui avait enquêté sur les cas de disparitions. Cette décision reflète une évolution importante de la performance et de l’indépendance des autorités judiciaires. Les familles ont enfin reçu une copie du dossier d’enquête du gouvernement. 

S’appuyant sur cette évolution majeure, deux députés libanais ont proposé en avril 2014 un projet de loi sur les personnes disparues et enlevées de force, qui prévoyait la création d’une commission nationale indépendante dotée des pleins pouvoirs pour gérer le dossier. Ce projet était largement inspiré d’un document préparé en 2012 par l’ICTJ, en collaboration avec plusieurs parties prenantes, dont des groupes de victimes. 

Début mai 2018, avant les élections législatives, plusieurs députés et partis politiques ont signé la pétition nationale visant à révéler le sort des disparus et enlevés de force, s’engageant enfin à mettre fin à la souffrance des familles. Cet engagement s’est concrétisé en novembre 2018 avec l’adoption de la loi 105 sur les personnes disparues et enlevées de force. Cette loi est une victoire importante pour les familles et une reconnaissance des droits des victimes par l’État libanais. En juin 2020, le gouvernement a nommé les membres de la Commission nationale pour les personnes disparues et enlevées – élément clé de la loi 105. 

La révolution qui a éclaté le 17 octobre 2019 représente la plus grande manifestation décentralisée et antigouvernementale que le pays ait connue depuis au moins la fin de la guerre civile en 1990. Dans tout le Liban, les gens ont exprimé des griefs variés, notamment sur la corruption, la faiblesse des institutions, la médiocrité des services publics, l’appropriation des espaces publics, l’inégalité, la discrimination, la pauvreté et le chômage. Nombre de ces griefs sont liés à des problèmes non résolus datant de la guerre civile. La persistance de l’injustice au Liban aggrave les tensions sociales et l’instabilité existantes et a contribué à la plus grave crise politique et économique depuis la fin du conflit.

Le rôle de l’ICTJ 

L’ICTJ fournit une assistance et des conseils aux acteurs de la société civile et aux décideurs politiques qui travaillent sur les séquelles des violations des droits de l’homme au Liban, y compris les enlèvements forcés. Notre implication vise à leur permettre de faire pression plus efficacement sur le gouvernement et les législateurs afin qu’ils prennent des mesures concrètes pour traiter ces questions. 

S’attaquer aux séquelles du conflit. Dans le cadre de la lutte pour briser les cycles de violence au Liban, l’ICTJ a travaillé avec ses partenaires sur un projet pluriannuel, « Addressing the Legacy of Conflict in a Divided Society », afin de collecter et de cartographier les violations passées, d’analyser les conséquences de l’impunité sur la société, et d’interroger les Libanais sur leurs perceptions et leurs attentes en matière de vérité et de justice. Sur la base des résultats de ces études et des travaux de recherche et de plaidoyer menés par un consortium de praticiens, d’experts et de groupes de victimes au Liban, un ensemble de recommandations politiques a été proposé pour aider les décideurs politiques et le grand public à traiter de manière constructive le passé violent du pays. L’ICTJ a également contribué à la compréhension par le public des travaux du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) par le biais d’ateliers, de conférences publiques et d’une visite sur le terrain pour les journalistes. Nous avons également produit un manuel sur le TSL en 2008. 

La recherche de la vérité et le droit de savoir. L’ICTJ a encouragé la création d’un processus de recherche de la vérité pour traiter les enlèvements forcés commis pendant la guerre civile. À cette fin, nous avons aidé les acteurs locaux, la société civile et les familles dans leur quête juridique et publique de vérité, de reconnaissance et de deuil. Pour aider à jeter les bases de la commission nationale indépendante pour les disparus et enlevés de force, l’ICTJ a publié en 2016 un rapport qui fournit des contributions substantielles, opérationnelles et financières, spécifiques au contexte libanais. En novembre 2018, le Parlement a adopté la loi 105 pour les personnes disparues et enlevées de force. La loi était basée sur le projet soumis au Parlement en 2014, qui a été rédigé par des organisations associées aux familles de disparus et d’autres parties prenantes, dont l’ICTJ. En collaboration avec nos partenaires, nous avons entrepris le projet d’histoire orale Badna Naaref (Nous voulons savoir), dans le cadre duquel des étudiants libanais ont engagé un dialogue avec leur famille proche et leurs voisins et ont enregistré les récits de leurs expériences personnelles de la guerre et de la violence. Un documentaire du même nom a été produit à partir de ces témoignages. Plus récemment, le projet artistique de récit historique de l’ICTJ, « La guerre comme je la vois » a encouragé les adolescents et les jeunes adultes libanais à explorer la façon dont ils comprennent la guerre civile en tant que composante du passé et du présent du pays. 

En 2016, l’ICTJ a produit un rapport examinant l’impact de la disparition sur les épouses des disparus au Liban, sur la base d’entretiens menés auprès de 23 épouses de personnes disparues ou enlevées pendant la guerre civile au Liban. Actuellement, l’ICTJ soutient également le projet d’archivage du Comité des familles des kidnappés et disparus qui documente les luttes à long terme des familles des personnes disparues et enlevées au Liban. L’ICTJ continuera à fournir des conseils techniques et un soutien pour l’application complète et significative de la loi 105 sur les personnes disparues et enlevées de force.