Le cas de Germain Katanga Témoigne des Progrès de la RD Congo en Matière de Justice

09/08/2016

Par Paul Seils, ICTJ Vice President and Myriam Raymond-Jetté, chef de mission pour le Programme de la RDC du ICTJ

Germain Katanga, un chef de guerre condamné par la Cour pénale internationale pour meurtre et d'autres crimes, pensait qu'il allait être libéré de prison en janvier. Mais il avait tort. Il avait été reconnu coupable des accusations liées à une attaque en 2003 dans le village de Bogoro, de la province de l'Ituri en République démocratique du Congo (RDC), en 2014 — et avait servi la fin de sa peine de 12 ans dans une prison de Kinshasa, suivant sa propre demande.

Mais les autorités de la RDC, au lieu de le libérer, l’ont maintenu en détention pour un procès quant à d'autres chefs d’accusation qui n'ont pas été traités par la CPI. Cette évolution représente non seulement une autre nouveauté juridique pour la CPI, mais aussi un changement de vitesse potentiellement important par le système de justice en RDC.

Lorsque le président Kabila avait volontairement demandé au procureur de la CPI de se pencher sur les crimes de la RDC en 2003, il a indiqué que c’était parce que les conditions ne permettaient pas aux fonctionnaires de la RDC de le faire. Est-ce que la décision de maintenir Katanga en détention et de le poursuivre indique que ces conditions ont considérablement changé?

Le processus judiciaire en RDC contre Katanga, ancien chef de la Force de résistance patriotique de l’Ituri, a nécessité une danse juridique assez complexe entre la CPI, la RDC et l'équipe de défense Katanga. Katanga a fait valoir qu'il ne pouvait pas être jugé en RDC pour « crimes contre l'humanité » parce qu'il avait déjà été condamné précisément en vertu de ce chef d’accusation à La Haye. Ceci, dit-il, violerait ses droits liés au principe de double incrimination. La CPI a décidé qu'il n'était pas poursuivi pour les mêmes crimes devant la CPI.

Les chefs d’accusations auxquelles il fait face en RDC comprennent la participation à un mouvement insurrectionnel en Ituri pendant la période de 2003-2005, la conscription ou l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans également en Ituri pendant la période de 2003-2005, crimes contre l'humanité par meurtre à Bunia, en Ituri, en 2003, et crimes de guerre par meurtre dans les villages de Mandro, Largu, Tchomia, Blukwa, Lengabo pendant la période de 2002-2005.

En effet, la CPI a dit qu'il n'est pas important que ces crimes puissent également être considérés comme des crimes contre l'humanité — ils sont des crimes différents, et donc, la poursuite de Katanga pour ces crimes ne viole aucun de ses droits.

Certains pourraient se demander s’il est une utilisation intelligente des ressources limitées de la RDC de poursuivre quelqu'un qui a déjà jugé et condamné par la CPI, étant donné le grand nombre d’auteurs de crimes qui n’ont pas encore été poursuivis.

Il y a, en effet, un arriéré de cas de crimes internationaux (crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide) devant les tribunaux de la RDC. En l'absence de données officielles, la recherche du Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ) a identifié que moins de la moitié des 39 cas de crimes internationaux portés devant les tribunaux dans l'est du pays de 2009 à 2014 ont été traités. La plupart des crimes internationaux ne sont pas traduits en justice du tout.

Le président de la Haute Cour militaire de la RDC, le Général major Bivegete, a déclaré à ICTJ que la décision de poursuivre Katanga a souligné « l'importance de se reconcentrer sur la primauté de la compétence nationale pour poursuivre les crimes internationaux plutôt que sur la complémentarité de la CPI. L'accent ne devrait pas être sur le rôle de la CPI dans le traitement de ces crimes, mais sur la responsabilité de la RDC de les poursuivre ».

Ce sont des mots importants, non seulement pour Katanga, ou pour les victimes de ses nombreux crimes présumés qui ne verraient pas de justice sans nouveaux procès : ils montrent qu'un changement de mentalité est en place et qu'un système judiciaire qui n’était pas enclin à poursuivre un tel cas il y a 10 ans peut maintenant avoir la confiance et la capacité de le faire.

La décision des autorités de la RDC au sujet de Katanga n'a rien à voir avec l'idée de limiter le rôle de la CPI en RDC, voire le retrait du Statut de Rome. Au contraire, il est l'un des signes les plus positifs à ce jour d'un système de justice internationale en maturation où la CPI a joué un rôle solide et constructif pour encourager les autorités de la RDC à reconnaître et à respecter leurs principales fonctions et responsabilités.

En outre, rien de tout cela ne suggère que le système judiciaire de la RDC est maintenant parfait. Les défis ne manquent pas. La plupart des cas de crimes graves restent dans la juridiction militaire, par exemple. Mais des efforts importants sont menés par certaines autorités nationales clés qui tentent d'améliorer l'efficacité de la poursuite nationale des crimes internationaux.

Par exemple, dans une tentative de régler l'arriéré des cas, avec le soutien d'ICTJ, les magistrats de l’est de la RDC ont identifié des cas prioritaires à être traité en premier lieu, sur la base de critères tels que la gravité des crimes, le nombre et la vulnérabilité des victimes, et l’impact des crimes sur les communautés. Le processus d'établissement des priorités a été mené sous l'autorité de représentants des plus hautes autorités judiciaires militaires et les cas prioritaires ont récemment été endossés par le Ministère de la Justice de la RDC. Cette priorisation a entraîné un changement de dynamique en redonnant l’appropriation des enquêtes aux autorités nationales, plutôt qu’aux partenaires extérieurs, et en conduisant à un rôle relativement plus proactif de la part des magistrats, ce qui permet un plus grand suivi institutionnel des enquêtes et des procès.

Le procès national de Katanga sera jugé, comme tous les procès devraient l’être, sur son équité. Mais les indications d'un changement de mentalité, d’un désir d'appropriation nationale des poursuites et des mesures concrètes pour réduire les arriérés et prioriser des cas sont toutes des étapes dans la bonne direction.

Certains penseront que les victimes ont attendu la justice trop longtemps. Tous les crimes pour lesquelles Katanga est accusé ont été commis il y a plus de dix ans. Mais il est parfois un soupçon de facilité dans la critique que « la justice retardée est une justice niée. » Si l'on considère les ressources et la fragilité de la RDC de l'époque, il faut reconnaître le progrès quand on le voit — et cela est certainement le progrès. Parfois, il ne sera pas possible, ou peut-être prudent, de directement mener des enquêtes criminelles alors qu'une guerre fait rage ou dès son sillage immédiat. Un certain retard peut en fait être le meilleur moyen de garantir une justice significative.

C’est en bâtissant une banque d'affaires crédibles que les tribunaux nationaux et internationaux traitant des crimes atroces aideront à changer les attitudes quant à ce qui est un comportement acceptable et ce qui ne l’est pas. La poursuite de Katanga par la RDC est une étape extrêmement bienvenue dans ce parcours de persuasion.


Cet article a été initialement publié sur Jeune Afrique.