Plus Que Des Mots

Ruben Carranza, Cristián Correa, et Elena Naughton
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Il est devenu assez commun, chez les dirigeants politiques, de présenter des excuses publiques aux victimes, à leurs familles et communautés, souvent au cours d’une allocution nationale officielle ou lors de cérémonies. De telles excuses s’inscrivent dans le cadre de processus de cessez-lefeu et de paix, et sont émises non seulement par ceux qui occupent des fonctions officielles tels que des chefs d’État, des ministres, des juges ou des chefs de la police, de l’armée ou des services de renseignement, mais également par des leaders paramilitaires. Des excuses formulées par des agents gouvernementaux sont un signe que l’État adhère totalement à ce qui est exprimé.

Comme réparation de violations graves envers les victimes, les excuses ne suffisent pas. Bien qu’elles possèdent une valeur en soi et peuvent répondre à une souffrance à la fois physique et morale, elles doivent s’ajouter à des formes matérielles de dédommagement. En particulier, il faut bien s’assurer qu’une emphase disproportionnée des excuses n’amoindrisse pas la probabilité que d’autres mesures réparatrices, telles que la restitution des biens et des soins médicaux, soient mises en oeuvre afin de limiter les souffrances à long terme causées aux victimes ou de subvenir à leurs besoins matériels.

Dans bien des cas, les excuses reflètent une prise en compte collective des crimes du passé. Elles décrivent ce que l’on a appris et ce qui doit être fait pour empêcher que de tels événements se reproduisent; elles peuvent marquer le début ou le point culminant d’une longue période, parfois conflictuelle, de débats et réflexions au sein de la société. Dans bien des cas, ce sont les victimes et les organisations de survivants qui donnent l’impulsion principale en vue de présenter des excuses et aident à décider du meilleur moment et de la meilleure façon de le faire.

Quel que soit le catalyseur, des excuses (et le processus de leur développement) peuvent aider un pays à remplacer, au moins en partie, des récriminations partisanes par un dialogue constructif, et unir la population derrière les objectifs communs qui doivent être atteints pour aller de l’avant. Développer un consensus autour de la nécessité d’excuses publiques peut aider une société à affronter son passé, réaffirmer ses valeurs et respecter ses engagements envers les victimes, en tant qu’êtres humains et citoyens, tant au présent qu’à l’avenir.

Comme des excuses officielles sont le plus souvent publiques, elles suscitent en général considérablement l’attention et la vigilance des médias. C’est pourquoi le contenu, le ton, l’élocution et le moment adéquat sont cruciaux. Les excuses les plus efficaces sont sans équivoque; elles ne sont pas diluées par des réserves visant à limiter leur portée ou désigner d’autres responsables. Pour les victimes, il peut être important que des excuses soient remises par écrit, ou bien lues ou exprimées à haute voix. De même, la langue parlée, l’accès à des documents écrits, oraux ou enregistrés, le lieu où elles sont présentées, voire le langage corporel et l’apparence de la personne qui les prononce, tout cela est significatif. Certaines des excuses les plus éloquentes ont eu lieu à l’endroit même où les violations ont été perpétrées.

Bien que la plupart des excuses officielles apportent aux victimes un certain réconfort, certaines ont été jugées sévèrement pour avoir été mal conçues, peu sincères et inefficaces. Par exemple, les expressions de regrets sont le plus souvent des déclarations de tristesse et de déception qui sont loin d’être des excuses, tandis que des excuses sans équivoque comportent une reconnaissance de responsabilité plus explicite, voire inconditionnelle. Elles admettent que des injustices spécifiques se sont produites, reconnaissent que les victimes en ont gravement souffert, et en prennent toute la responsabilité.

Des excuses efficaces prennent en compte les réactions probables des victimes à ce qui a été dit. En fait, les excuses les plus pertinentes sont sans doute celles qui ont été approuvées par les survivants, les familles des victimes ou leurs représentants, et qui abordent l’avenir et pas seulement le passé. Elles assurent aux victimes – et à toute la société – qu’elles ne sont pas fautives de ce qui s’est passé et mettent l’accent sur les valeurs communes, partagées par tous au sein de la société.

Bien qu’en elles-mêmes, les excuses ne peuvent totalement restaurer la confiance ni procurer le complet soulagement nécessaire aux victimes et à la société pour se rétablir, elles jouent un rôle important en donnant du sens aux réparations, en promouvant les efforts de réforme des institutions et en garantissant que les violations ne se répèteront pas. Elles peuvent constituer une étape importante vers la réconciliation, sur le long chemin menant à une paix durable.

Mémorial au Kenya financé par le Royaume-Uni, commémorant les Kenyans torturés et tués par les forces britanniques durant la révolte des Mau-Mau, dans les années 50, ici lors d’une cérémonie d’inauguration le 12 septembre 2015. Il s’inscrit dans le cadre de la résolution extrajudiciaire prise en 2013, par laquelle le gouvernement britannique accepte de verser 20 millions de £ (30 millions de $ US) de dédommagements aux vétérans Mau-Mau. (nKiruu Photography/jothee/Flickr)

Conclusions

Le contenu, l’élocution, le ton et le moment propice des excuses sont cruciaux, tout comme leur articulation avec d’autres mécanismes transitionnels, y compris d’autres excuses. Dans certains cas, comme les excuses du Canada pour les pensionnats indiens, plusieurs formes de reconnaissance ont précédé les excuses du Premier ministre John Harper, dont des rapports commandités par l’État, le règlement d’un recours collectif et la mise en place de services et paiements de dédommagements. Souvent, les excuses suivent les recommandations des organismes de recherche de la vérité, comme la TJRC au Kenya qui a fourni des orientations concrètes sur la manière de définir les excuses nécessaires et les méfaits qu’elles devraient reconnaître. En d’autres cas, ce sont les victimes ou groupes de victimes qui ont fourni l’impulsion principale en vue de présenter des excuses et aident à décider du meilleur moment et de la meilleure façon de le faire ; leur apport est essentiel.

Les excuses publiques constituent un élément important de toute politique de justice transitionnelle. Quand elles sont effectuées d’une manière s--érieuse et sensible aux besoins matériels et moraux des victimes et des survivants, elles peuvent exprimer efficacement – pour la première fois dans certains cas – la reconnaissance de souffrances et de pertes chez les victimes et survivants. Lorsqu’elles sont solennelles et sans équivoque, les excuses énoncent une claire reconnaissance de la responsabilité de l’État et d’individus non seulement pour les souffrances infligées, mais aussi pour les causes du conflit ou de la répression qui a provoqué ces souffrances. De cette manière, elles jouent un rôle important dans le sens donné aux réparations et la promotion des efforts pour réformer les institutions et garantir que ces souffrances ne se répéteront pas.

Le processus de développement d’un consensus autour de la nécessité d’excuses peut aider une société à faire face à son passé, à réaffirmer des valeurs partagées, à remplir ses obligations envers les victimes en tant qu’êtres humains et citoyens, dans le présent et à l’avenir. Bien que des excuses seules n’apportent jamais le complet soulagement dont les victimes et la société ont besoin pour se rétablir, elles peuvent constituer une étape importante vers la réconciliation et une paix durable.