Près de six ans après le début du mandat de la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) de Gambie, qui enquête sur les violations des droits humains – notamment la torture, les disparitions forcées, les violences sexuelles et les exécutions extrajudiciaires – commises pendant la dictature de l’ancien président Yahya Jammeh (1994-2017), le pays cherche toujours à obtenir justice pour les victimes. La TRRC a remis son rapport final et ses recommandations au gouvernement fin 2021, et le ministère de la Justice a publié un livre blanc sur son approche du rapport en mai 2022, suivi d’un plan de mise en œuvre des recommandations en mai 2023.
Si le plan du gouvernement promet de rendre justice et de réparer les torts causés, il nécessite, pour avoir l’effet escompté, une large participation du public au processus, en particulier celle des jeunes. Près de 60 % de la population totale du pays a moins de 25 ans, tandis que les 18-35 ans représentent 58 % des électeurs inscrits. En tant que groupe démographique, les jeunes Gambiens sont majoritaires et peuvent (et doivent) jouer un rôle central dans la démocratie et le développement du pays. Dans cet esprit, l’ICTJ s’est associée au Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la paix (UNPBF) pour mettre en oeuvre un projet visant à donner aux jeunes Gambiens les moyens d’exprimer leurs revendications sur les questions de gouvernance, de réconciliation et de prévention, conformément aux recommandations de la TRRC.
Dans le cadre de ce projet, l'ICTJ et l'UNPBF ont organisé une caravane qui a sillonné la Gambie pendant 10 jours en juillet dernier afin de sensibiliser les jeunes, les informer sur les recommandations de la TRRC et sur le processus de mise en œuvre de celles-ci, et les encourager à s'impliquer dans ce processus. Des membres d'organisations de la société civile dirigées par des jeunes y ont pris part, voyageant avec la caravane dans les différentes régions du pays. À chaque étape de la tournée, ces jeunes leaders ont rencontré des jeunes locaux et leur ont parlé du passé violent du pays, du besoin de justice et de réparation, et du rôle vital qu'ils peuvent jouer. Ils ont également distribué des versions plus courtes et plus conviviales des recommandations de la TRRC et du livre blanc du gouvernement, produites par l'ICTJ et ses partenaires avec le soutien de l'UNPBF.
« La caravane a vraiment aidé ces jeunes leaders à impliquer leurs pairs dans les rues, sur les marchés, dans les écoles de différentes régions, dans des actions de sensibilisation de masse, mais aussi dans des conversations individuelles sur la mise en œuvre des recommandations de la TRRC, à dissiper certaines idées reçues et à encourager les gens à s'impliquer et à s'engager pour la pleine mise en oeuvre des recommandations », a expliqué Didier Gbery, chef du bureau de l'ICTJ en Gambie.
« Il s'agissait non seulement d'une contribution significative à un processus participatif et inclusif post-TRRC, mais aussi d'une occasion de continuer à donner aux jeunes les moyens de jouer un rôle constructif dans la construction de la nation, la consolidation de la paix et la réconciliation », a poursuivi M. Gbery. « Cela a démontré une fois de plus la capacité des jeunes à contribuer au développement de leur pays, à soutenir les efforts du gouvernement pour renforcer l'État de droit et promouvoir les droits humains. En un mot, la caravane a promu les droits des jeunes à la participation. »
Afin de favoriser les relations entre les jeunes et les autorités locales, l’équipe de la caravane a rencontré les gouverneurs locaux et les conseillers régionaux pour discuter de l’importance d’impliquer les jeunes dans le processus post-TRRC et dans l’élaboration des politiques en général. Par exemple, l’équipe a rencontré le gouverneur de Basse dans la région du Haut-Fleuve, Abdoulie Kah, qui a encouragé les jeunes à s’impliquer dans le gouvernement local et dans les efforts de consolidation de la paix. Dans la région du Bas-Fleuve, l’équipe a rencontré le président du conseil régional de Mansakonko, Landing B. Sanneh, qui a souligné que les jeunes sont les futurs dirigeants du pays et qu’ils doivent donc être proactifs dans le développement de la Gambie.
« La seule façon pour nous d’avancer en tant que pays est lorsque nous, les jeunes, sommes prêts à faire un changement et à apporter notre contribution au développement national », a déclaré Modou Mass Laye, coordinateur national de Our Nation Our Voice, une organisation gambienne dirigée par des jeunes et partenaire de l’ICTJ, qui milite pour la paix, la justice et la réconciliation.
La caravane a également apporté divertissement et joie aux communautés qu’elle a visitées. Des spectacles musicaux en anglais, en peul, en mandingue et en wolof ont été organisés. Des jeunes et des femmes ont chanté et dansé, exprimant leur espoir d’un avenir meilleur.
La programmation comprenait la rappeuse, activiste et membre fondatrice de Our Nation Our Voice, Awa Bling, et le musicien peul Momodou Mustapha Jallow, également connu sous le nom de Bobo Dimo. En 2019, en collaboration avec Our Nation Our Voice et l'ICTJ, Awa Bling a enregistré la chanson Never Again et Bobo Dino la chanson Lei Dimaa pour faire connaître le processus de justice transitionnelle du pays et encourager la participation aux audiences publiques de la TRRC.
Bobo Dimo a déclaré à propos de la caravane : « Cette initiative a permis de sensibiliser le public à la manière dont la mise en œuvre du livre blanc du gouvernement peut contribuer à réduire les taux de criminalité et à prévenir l’implication des jeunes dans la consommation de drogues nocives. Je pense que les jeunes devraient prendre l’initiative de défendre et de faire avancer le changement, car nous sommes la force de la nation. J’encourage tout le monde à s’impliquer et à veiller à ce que nos dirigeants soient tenus responsables de leurs actes. »
Awa Bling, dont la carrière de rappeuse a décollé en 2012, utilise depuis longtemps sa musique pour aborder des questions sociales, notamment les violences sexuelles et sexistes, et collabore avec des organisations non gouvernementales, dont ICTJ, pour sensibiliser le public à ces questions. Elle est aujourd'hui directrice exécutive de Music for Change Gambia, une organisation qui se consacre à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes à travers la musique.
« Il est essentiel que les jeunes participent aux processus de justice transitionnelle afin de faire évoluer nos politiques et de tenir notre gouvernement responsable de ses actes », a-t-elle déclaré. « Nos voix ont du pouvoir, et chaque jeune devrait participer aux processus de prise de décision pour garantir l’égalité et l’équité. »
Les participants à la caravane ont souligné à plusieurs reprises la nécessité d’une réforme du secteur de la sécurité et de réparations aux victimes, deux éléments clés des recommandations de la TRRC.
Sukai John, une jeune membre de l’organisation Think Young Women, estime que plus la mise en œuvre des recommandations prendra du temps, plus les victimes souffriront et moins elles auront de chances d’obtenir réparation. « Pendant la caravane, j’ai entendu les victimes et leurs familles, et elles ont toutes souligné l’importance des réparations », a-t-elle déclaré. « Le processus judiciaire avance lentement pour l’instant, mais je comprends qu’il existe des étapes définies pour la mise en œuvre des recommandations. Cependant, il faut aussi que justice soit rendue à tous les égards pour les victimes. »
Abdoulie Bojang, le père d’une des victimes brutalement tuées par les forces de sécurité gambiennes lors des manifestations étudiantes d’avril 2000, a exhorté les jeunes participants à en apprendre davantage sur leurs droits et leurs responsabilités et à « participer au développement de leurs communautés respectives ».
« Le gouvernement et ses agents appartiennent tous à la jeunesse », a-t-il poursuivi, « alors unissons-nous et tenons-les responsables du développement de notre nation. »
Selon Mariama Marong, une jeune participante de Jamburr, dans la région de la côte ouest, la caravane a été une très bonne initiative. Comme c’était la première fois qu’une telle activité était organisée dans son village, elle a déclaré que de nombreux jeunes étaient venus manifester leur intérêt et faire entendre leur voix.
« Je veux dire à mes jeunes compatriotes du pays que nous sommes les dirigeants de demain, et considérant que 60 pour cent de la population du pays est composée de jeunes, nous devons être impliqués dans ces processus de prise de décision pour notre avenir et celui des générations futures », a déclaré Mme Marong.
« Nous devons comprendre que la justice transitionnelle est destinée à améliorer notre pays et à garantir que ce qui est arrivé à l’ancien président Yahya Jammeh ne se reproduise plus. Nous connaissons les défis auxquels nous avons été confrontés à cette époque et nous y sommes toujours confrontés. Par conséquent, je pense que la seule façon de les surmonter est de nous impliquer dans les processus de prise de décision. »
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PHOTO : Les jeunes femmes de la région du Haut-fleuve en Gambie participent aux activités de la caravane promouvant la justice et la réconciliation. (Sukai John/Think Young Women)